Interview de Ludovic Tézier
Voici l’interview que j’ai réalisée de Ludovic Tézier le 20 août 2020 pour le numéro 555/556 de la revue Sant’Evasion :
La culture n’est pas la bonne bête à dépecer
Invité des premières scènes du monde, le plus grand baryton du moment nous fait part de ses réflexions quant à la période que traverse le spectacle vivant. Interview réalisée le 20 août.
Ludovic Tézier, bonjour, avez vous eu des retours de la lettre ouverte que vous avez publiée courant mars et quel est votre constat quant à la gestion du covid pour le spectacle vivant en France ?
J’ai eu des retours oui, mais pas de la personne à qui c’était adressé. Cette lettre, je l’ai faite parce que je voulais pouvoir continuer à me regarder le matin dans le miroir tandis que je me rasais.
Désormais, c’est l’heure de l’ouverture des parapluies à tour de bras parce que les gens au pouvoir n’ont pas envie qu’on leur fasse de mauvais procès dans les jours ou les mois qui viennent… C’est dommage parce que cela rajoute le malheur au mal, mettant les chanteurs mais aussi l’ensemble du monde du spectacle dans une situation vraiment compliquée.
Roselyne Bachelot vient de rencontrer les professionnels du spectacle. Avez-vous suivi ce qui en a découlé ?
Je n’ai pas suivi à proprement parler parce qu’en fait je n’en attends pas grand chose. Roselyne est quelqu’un que je connais bien et que je respecte. Elle risque d’être confrontée à ce qui perdure aujourd’hui et qui est à la source de la catastrophe que l’on vit : la stricte, bête et comptable économie budgétaire. C’est à dire que pour économiser, il ne va pas être décidé d’investir dans le spectacle. J’ai lu l’article paru dans « les Echos » et ai appris que les professions du spectacle en Europe représentaient le troisième employeur d’Europe, c’est phénoménal ! Faisons des économies, d’accord, mais alors sur ce qui ne rapporte rien ! La culture n’est pas la bonne bête à dépecer, c’est une vraie erreur. On est en train d’en dégrader l’image alors qu’elle est absolument nécessaire à une société, à une civilisation mais en plus de ça, elle rapporte vulgairement parlant des sous !
Qu’est-ce qui vous permet de penser que la culture est importante dans la société actuelle ?
Ça doit quand même l’être puisque tous les sites de streaming font florès, tous les théâtres mettent en ligne gratuitement des spectacles. Il y a donc une grosse demande. La première diffusion de la Manon à laquelle je participais au moment du confinement a fait, sur le site de l’Opéra de Paris, plus de 500 000 vues en une soirée en France sans compter l’étranger. Par ailleurs, la culture est importante pour développer l’humain (on est dans la philosophie et la spiritualité mélangées) et donc la personnalité. A une époque où les religions se braquent ou s’amoindrissent, on perd une forme de spiritualité qui élève l’homme, c’est alors à la culture de le faire. Je peux avoir des émotions quasi religieuses ou mystiques devant un tableau, à l’écoute d’une ouverture d’opéra comme Parsifal de Wagner. La vie sans art, sans littérature, sans spiritualité artistique en revient à la fameuse formule des années 60/70 : métro, boulot, dodo.
Suite au confinement, qu’est-ce qui vous a redonné envie d’incarner le baron Scarpia de la Tosca de Puccini à Naples en juillet ?
L’envie de me retrouver sur scène aux côtés de partenaires aussi prestigieux pour exercer mon métier qui me fait rêver mais aussi la nécessité de gagner ma vie. Il y a très peu de chanteurs qui sont à même de pouvoir assumer la crise actuelle sans problème. Et contrairement à ce qu’a osé dire Peter de Caluwe, le directeur du théâtre de la Monnaie de Bruxelles, à la RTBF, je ne gagne pas entre 100 et 150 000€ par représentation ! C’est très très loin de ces sommes astronomiques !
Pour terminer, est-ce que vous faites attention à votre santé dans le cadre de votre profession ?
Le lavage de mains, l’écharpe, les gants, ça fait partie de mon quotidien. Une bonne veille gastro par exemple, si ça me met au tapis et bien je rate deux cachets et je n’ai pas envie de perdre deux cachets pour un virus. Niveau ORL je fais tout le temps extrêmement attention. Après quand ça arrive, tout dépend du degré de gravité mais quand c’est faisable, la technique vocale permet de passer au-dessus de pas mal de choses pour une soirée ou deux. Quand je suis en spectacle, si je suis un peu malade, je ne prends pas de médicament car la molécule va me changer mes repères. Je préfère avoir un petit peu mal mais avoir des repères que je gère plutôt que d’être complètement anesthésié et chanter avec zéro sensation. Et on tient avec les nerfs… Ce sont des soirées épuisantes à tout niveau puisqu’on tape dans la voix, on tape dans la concentration mentale et on tape dans les nerfs et on sort de là à peu près lessivé.
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