Interview Yusif Eyvazov Sant’Evasion n°557

Déc 26, 2020
Arnaud Kientz

Voici l’interview du ténor Yusif Eyvazov réalisée pour la revue Sant’Evasion de fin d’année 2020 :

Copyright Julian Hargreaves


Comment s’est passé le retour sur scène à Dresde en juin pour le Don Carlos de Verdi en version abrégée ?

On était resté presque trois mois sans rien faire. Ça a été difficile car chanter chez soi et sur une scène d’opéra est totalement différent. Ce sont deux mondes. Le corps avait perdu l’habitude de l’exercice que requiert le fait de chanter devant un grand public. Avec les engagements suivants, les repères sont revenus.

À la normale ?

Après 40 ans, on ressent chaque année des changements. Le corps évolue, il vieillit. Mais c’est aussi un âge d’or pour un chanteur. On est en pleine possession de ses moyens avec assez d’expérience pour comprendre sa voix et maîtriser ses nerfs. La voix, c’est le corps, si le corps change, la voix aussi. Bien sûr le timbre demeure intact mais ce sont les possibilités de la voix qui baissent.

Qu’en est-il du trac ?

Le trac, je n’en ai quasiment plus, par contre j’ai la préoccupation de devoir faire du mieux possible. Je n’ai plus peur mais je dois toujours être très attentif à ce que je fais car le public attend toujours davantage.

Vous ressentez une pression de la part du public ?

Le public met toujours la pression. Il y a celui qui vous veut du bien et qui sait que si une note ne sort pas bien, il y a des raisons et vous trouve des excuses : c’était comme ça aujourd’hui et ce n’est pas une généralité. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Je n’ai jamais oublié Luciano Pavarotti à la Scala… Quand il y a chanté Aida, il sortait du théâtre et il était ovationné parce qu’il avait été formidable. Les mêmes, quelques années plus tard le huaient pour le Don Carlo où il a eu des problèmes. Alors si un chanteur comme Pavarotti, qui pour moi est un des plus grands de l’histoire de l’art lyrique se trouve traité de la sorte, cela veut dire que le public n’est pas toujours bienveillant. Il y a une pression constante, par exemple, si on se fait huer à la Scala alors à New-York ou à Munich, on ne hue pas mais on n’applaudit pas. On est jugé en permanence. Je n’ai pas une pression aussi grande en Russie ou à New-York où je suis apprécié mais ce n’est pas le cas partout, dans certains pays d’Europe notamment.

Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier ?

Ce qui me plaira toujours c’est le public qui aime la musique sincèrement. Ce public sincère dans son amour. Pas cet amour pour moi ou pour Anna ou une autre personne, mais celui qui aime la musique et toute personne qui fait de la musique. Ça, ça me rend heureux. Quand les gens m’écrivent qu’ils avaient les larmes aux yeux, me remercient, me disent : quelle belle soirée ! Ce public qui vient sans savoir qui je suis, d’où je viens, ne sachant même pas écrire mon nom correctement, ce qui m’est complètement égal, me fait aimer mon métier. Evidemment, j’aime faire de la musique, travailler avec des génies comme les chefs Valery Gergiev ou Gustavo Dudamel avec qui je viens de faire Trovatore à Barcelone : exceptionnel, quel musicien ! J’aime les rapports humains.

Quel est votre rapport avec la santé ? Vous avez changé beaucoup de choses notamment au niveau du sport…

J’avais pris beaucoup de poids. Vivre était devenu difficile aussi j’ai décidé de faire ce travail. J’ai commencé il y a exactement deux ans : je me suis mis au sport et au régime. Ça a vraiment été difficile mais ça m’a purifié le corps et l’esprit. C’est certainement la chose la plus intelligente que j’aie pu faire de toute ma vie. Je ne me suis jamais aussi bien senti, aussi léger, rapide. J’appelle tout le monde à faire du sport. Commencez aujourd’hui, pas demain parce que ça vous aide à vous sentir mieux, à ouvrir la tête… Tout sera beaucoup plus facile.La santé a évidemment une influence sur le chant : mieux le corps fonctionne, mieux on chante. Tout est lié.

Et en cas de maladie ?

Si on est un peu enrhumé, un peu mal à la gorge, un peu de fièvre, un peu de toux, on peut quand même chanter en restant attentif. Avec une trachéite, une bronchite ou une laryngite, c’est impossible. Le système respiratoire doit fonctionner. Mais depuis que je fais du sport, je ne suis presque plus malade. Du reste, j’ai fait le test sanguin du coronavirus au moment où ma femme l’a contracté. Du fait de mes anti corps, le médecin m’a appris que je l’avais eu 6 mois plus tôt. Je n’ai constaté aucun symptôme. Donc, faites du sport, c’est important.

Les projets ?

On vit au jour le jour, les emplois du temps changent sans arrêt. Des représentations sont prévues à Saint Pétersbourg, pour le reste…

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